Exposition au musée d’art de Tsukuba (préfecture d’Ibaraki)

Texte de Rikiei FUNAKI
Conservateur en chef du musée d’art moderne d’Ibaraki (ville de Mito)

« Œuvres abstraites et lyriques de Kazuaki TAKAHASHI

Depuis trente ans, Kazuaki TAKAHASHI vit et peint en France. Il arrive en 1979 dans ce pays à l’âge de vingt ans. Trente ans, cela n’a l’air de rien, mais c’est loin d’avoir été une vie facile. Pourtant, à travers ses œuvres, on ne s’en aperçoit pas. Naguère, l’expressionnisme allemand avait fait apparaître d’une manière intuitive l’âme blessée et l’angoisse du peintre ; les couleurs sombres ou primaires se tordaient sur la toile. Les œuvres de Kazuaki TAKAHASHI sont complètement différentes. Elles sont au contraire calculées intelligemment, on y distingue même une certaine forme de musique ou de mathématique ; en même temps, elles semblent empreintes de tendresse et d’intimité. Moi qui retrouve la tradition française dans les œuvres majeures d’Henri MATISSE et de Pierre BONNARD, je dirais que TAKAHASHI est l’un des peintres japonais chez qui on la retrouve le mieux, comme également chez Shikanosuke OKA, Kiyoshi HASEGAWA ou encore Shizuka MURAYAMA.

Or cette intelligence et cette clarté ne rendent jamais les œuvres de TAKAHASHI froidement colorées. Au contraire, elles ont une forme de finesse, de sensibilité, voire de fragilité. Cette fragilité de la beauté est un élément toujours structurant de ses œuvres. Sa tonalité préférée ressemble à ce qui pourrait s’appeler la « mélodie du vert » : un vert qui oscillerait entre un bleu profond et serein et un jaune clair et léger. De même il utilise beaucoup les tonalités allant du jaune à l’orange, qui évoquent les moissons à l’automne. Le souffle de la forêt (2004) reflète ce premier aspect, Esprit d’automne (2008) le second. Mais Kazuaki TAKAHASHI a également peint une œuvre, Ordre de l’esprit (2008), où un monde spirituel rigoureux est représenté au moyen d’un damier en dégradé, qui passe du noir au blanc par des tons bleutés et violacées, et qui est entouré d’une large bande noire. Les nuances délicates, comme le bleu clair grisaillé ou le violet clair grisaillé, ne rendent pas ce monde totalement monochrome. Le peintre porte donc son regard vers l’expression de la rigueur spirituelle humaine. Inversement, dans ses œuvres abstraites et lyriques, il rend avec douceur l’harmonie de plusieurs gammes de couleurs (vert, jaune et orange), cueillies dans la nature par le peintre lui-même. Une autre série d’œuvres, Âme de poète (2008), Révélation (2007) ou encore Réveil (2008), est composée d’une même tonalité de couleurs, bleu foncé, gris bleu presque noir ; seule une ligne rouge et irrégulière apparaît au milieu des couleurs sombres. Ces tableaux, obscurs et profonds, incitent à la méditation. Contemplatifs et mystiques, ils évoquent la philosophie asiatique. On a l’impression de se trouver face à une porte sombre. Pourtant, ces tableaux dégagent non pas de la dureté, mais de l’apaisement. Là réside le caractère de l’œuvre de Kazuaki TAKAHASHI.

Si on considère maintenant ses œuvres d’un point de vue chronologique, on aurait tort de penser qu’il est passé d’une réalisation d’après nature – avec des couleurs verte, bleue et jaune orangée – à une prédominance des couleurs sombres, spirituelles et contemplatives. Sa création évolue parallèlement et polyphoniquement dans ces deux mondes. Si on pratique régulièrement la méditation, on a parfois envie d’inspirer une bonne bouffée d’air frais dans la nature, afin de ne pas sombrer dans sa propre méditation. Je pense justement que les œuvres de TAKAHASHI reflètent une forme d’équilibre et de sérénité entre la méditation et la nature. Il n’est donc pas surprenant de voir le peintre réaliser des tableaux tels qu’Origine de la forêt (2008), pleins de fraîcheur, en même temps que d’autres comme Âme de poète ou Réveil, philosophiques et métaphysiques. En créant des peintures figuratives parallèlement à des œuvres abstraites, il évolue dans plusieurs univers à la fois. Les titres de ses œuvres révèlent d’ailleurs que le peintre est aussi poète, parcourant alternativement l’univers de la parole et celui de la peinture. Origine de la forêt contient à elle seule l’ensemble de ces éléments artistiques. Cette œuvre évoque le balancement des feuilles par la brise, ainsi que les jeux d’ombre et de lumière des rayons du soleil. En outre, des bandes verticales, tracées comme des clavier blancs, disposées avec un rythme naturel, suggèrent la perspective des arbres. On peut avoir l’impression que les espaces naturels sont divisés dans notre souvenir, comme si on regardait à travers une fenêtre. Chacun peut interpréter ce tableau à sa manière.

Les œuvres abstraites de TAKAHASHI ne sont généralement pas difficiles à comprendre. Elles évoquent avec délicatesse et authenticité un univers lyrique et frais, minutieusement construit. Les titres eux-mêmes sont soigneusement choisis, ils suggèrent le monde intime de ses rêveries poétiques. Ils reflètent des images à la fois picturales et poétiques, qui fonctionnent en parfaite harmonie. Au-delà de sa peinture, Kazuaki TAKAHASHI retrace toutes ses pensées dans des carnets manuscrits qui reflètent son esprit rigoureux et minutieux. Ces carnets, densément remplis de lettres minuscules, sont des œuvres d’art à part entière, peu d’artistes contemporains le font. Ils évoquent les fameux cahiers de Léonard de VINCI, auquel TAKAHASHI s’intéresse particulièrement.

TAKAHASHI n’est sans doute pas encore suffisamment connu au Japon. Cette première grande rétrospective, intégrant majoritairement des œuvres récentes, est réalisée grâce à des admirateurs japonais comme étrangers. Je souhaite sincèrement le succès de cette exposition, qui constitue une occasion importante de faire connaître ses tableaux au grand public. »

Exposition au musée d’art de Tsukuba

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